Mise à jour sur le bannissement des fonds à frais d'acquisition reportés
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Article privé

Finance | Dec 23, 2019 | François Bruneau, Vice-président - Administration

Ce jeudi 19 décembre 2019, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié l’avis 81-332 venant clore avec fracas la question de l’élimination des fonds à frais d’acquisition reportés (fonds FAR) dans le secteur de l’épargne collective qui perdurait depuis plusieurs années.

Avant d’aller plus loin, il convient de préciser que :

  1. les fonds distincts ne sont pas touchés par cette décision, et
  2. les commissions de service continueront d’être versées normalement, il n’y a aucune inquiétude à y avoir à ce sujet à l’heure actuelle.

Les ACVM ont bien annoncé un bannissement des commissions de service, mais seulement pour les réseaux sans conseil, c’est-à-dire principalement les courtiers à escompte où les clients effectuent eux-mêmes leurs transactions et leur choix de fonds.


Revenons à l’avis 81-332.  Essentiellement, ce dernier vient signer l’arrêt de mort des fonds FAR dans le secteur de l’épargne collective presque partout au Canada, exception faite de l’Ontario. À la fin de la période de transition prévue d’au moins deux ans, le versement de commissions par un manufacturier de fonds à un courtier en épargne collective au moment de la souscription deviendra carrément interdit. Ce bannissement affectera autant les fonds FAR classiques que les fonds à frais réduits.

Publiée à la veille de Noël, cette décision a littéralement pris toute l’industrie par surprise. La surprise ne vient pas tant du timing de la publication, puisque les ACVM avaient toujours été assez claires qu’elles souhaitaient publier leur décision avant la fin de 2019. C’est plutôt la dissidence de l’Ontario qui a semé la consternation dans toute l’industrie. On savait que le ministère des finances de l’Ontario était publiquement opposé au bannissement des fonds FAR, mais personne ne s’attendait à ce que les autres provinces canadiennes décident d’aller de l’avant sans l’appui de l’Ontario. Il s’agit là d’une situation sans précédent.
 

Qu’est-ce que cela veut donc dire?

Ironiquement, les clients et les conseillers en Ontario pourront continuer à effectuer des dépôts dans des fonds FAR alors que ceci sera interdit d’ici les deux prochaines années dans toutes les autres provinces du Canada, y compris au Québec. Cette particularité de notre province voisine engendrera un déséquilibre compétitif entre l’Ontario et le Québec. En effet, il sera plus facile pour les jeunes conseillers ontariens de démarrer leur carrière en ayant accès à une source de revenus immédiats plus intéressante. De plus, la rentabilité des firmes de courtage ontariennes à moyen et long terme risque fort d’être meilleure, ce qui les placera dans un avantage compétitif face aux firmes québécoises, ce qui pourrait éventuellement accentuer davantage la tendance à la consolidation dans le secteur.

Outre la dissidence de l’Ontario, c’est la position finale du Québec qui a aussi retenu l’attention de l’industrie. L’appui du Québec au bannissement des fonds FAR a été reçu avec stupeur par les courtiers indépendants québécois. En effet, l’AMF avait toujours été perçue comme étant un supporteur plutôt tiède de l’élimination des fonds FAR. Le personnel de l’AMF a même envoyé quelques signaux dans la dernière année comme quoi il était à la recherche de solutions alternatives au bannissement complet. Ainsi, de voir le Québec devenir la plus importante province supportant un tel bannissement constitue donc une surprise de taille.

Nous sommes évidemment extrêmement déçus que notre régulateur québécois n’ait pas saisi l’opportunité offerte par l’Ontario de sortir de cette réforme. Nous ne comprenons pas non plus la logique des ACVM de choisir d’opter pour une désharmonisation des règles à travers le Canada. Cette décision va à l’encontre du principe même des ACVM et fournit des munitions aux partisans d’une commission des valeurs mobilières pancanadienne unique où les mêmes règles s’appliqueraient automatiquement à toutes les provinces.
 

L'impact

À court terme, nous n’anticipons pas nécessairement d’impacts catastrophiques découlant du bannissement des fonds FAR vu la baisse marquée de la popularité de ces produits dans les dernières années. Toutefois, c’est à long terme que les effets se feront sentir. L’industrie a en effet prévenu les ACVM que ce bannissement aurait 2 impacts majeurs à moyen et long terme :

  1. la réduction de l’accessibilité au conseil pour les petits investisseurs, et
  2. la réduction de l’attrait du courtage indépendant pour les jeunes conseillers.

En effet, devant la plus grande difficulté qu’auront les courtiers, indépendants ou non, à rentabiliser leur relation avec des clients ayant un faible actif à investir, ces derniers se verront délaissés ou pourraient devoir assumer un frais plus important pour obtenir du conseil. D’autre part, si les conseillers indépendants québécois en début de carrière n’auront plus accès aux fonds FAR pour arriver à se financer en début de carrière, nous craignons qu’ils seront davantage attirés par les réseaux bancaires et les autres réseaux intégrés offrant un salaire de base. C’est donc dans 5, 10 ou même 15 ans que l’on sera en mesure de mesurer la pleine valeur de cette décision, lorsque l’on constatera les difficultés d’accès au conseil par les petits investisseurs et la hausse constante des parts de marché des réseaux bancaires et intégrés.

Pourtant, tout au long du processus, d’innombrables participants ont proposé des solutions alternatives intéressantes qui auraient pu atténuer fortement ces enjeux sans pour autant entraîner les effets dévastateurs d’un bannissement complet. Par exemple, les fonds à rétrofacturation de commissions (chargeback) auraient constitué une option tout à fait viable. Or, dans un article publié le 20 décembre 2019, l’AMF avait cette explication pour rejeter l’option des séries à rétrofacturation de commissions : « L’option que vous évoquez [c’est-à-dire les séries en rétrofacturation], ça vient avec un fardeau administratif, des nouveaux systèmes, la création de nouveaux produits et une série de situations très opérationnelles de transfert de positions. Pour gagner sur un front, on perdait sur d’autres. On ne gagnait rien d’imposer une solution très complexe pour n’arriver qu’à atténuer un risque en partie. ». Nous sommes perplexes que l’AMF invoque des questions de complexité d’implantation pour rejeter le scénario des fonds à rétrofacturation de commissions. En effet, l’AMF n’est pas sans savoir que les séries à rétrofacturation sont florissantes dans le secteur des fonds distincts et qu’aucun manufacturier ne soulève d’enjeux particuliers avec celles-ci. De plus, l’argument de la complexité étonne puisque ce ne serait quand même pas la première fois que les régulateurs imposent des réformes impliquant des changements complexes aux participants du marché, nous n’avons qu’à penser à la fameuse réforme MRCC2 entrée en vigueur il y a quelques années.

Vous aurez compris que Groupe Cloutier Investissements est totalement en désaccord avec la décision de l’AMF. Nous croyons que cette décision n’est pas alignée avec la mission même de l’AMF. Pour utiliser une analogie sportive, il se fait tard en troisième période, mais nous avons l’intention d’utiliser tous les moyens à notre disposition afin de continuer à faire valoir vos intérêts ainsi que ceux des petits investisseurs.

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