Christian Hubert | Expert-Conseil - Fiscalité et Planification successorale
Lorsque vient le temps de planifier la transmission de son patrimoine, il est opportun de connaître les enjeux légaux et fiscaux qui pourraient avoir un impact sur la masse successorale disponible pour ses héritiers. La répartition ultérieure des biens pourrait également ne pas correspondre aux dernières volontés du défunt si ses dispositions testamentaires n’en tiennent pas compte. Cet article propose une révision des principales règles fiscales applicables au décès d’un contribuable canadien et des multiples mesures d’allègement dont dispose le liquidateur. Il apportera également un éclairage sur les impacts reliés aux différentes formes de désignation disponibles lorsque certains régimes d’épargne sont mis en place.
Disposition présumée au décès
La règle générale
Lorsqu'un contribuable décède, il est réputé avoir disposé de tous ses biens à leur juste valeur marchande immédiatement avant son décès. Cela signifie que, pour les fins de l'impôt sur le revenu, les biens du défunt sont considérés comme ayant été vendus à leur juste valeur marchande et réacquis à ce moment par sa succession pour un coût égal à cette valeur. Il en découle donc une imposition sur la plus-value non réalisée sur l’ensemble de ses biens en immobilisation (résidences familiales, valeurs mobilières, immeubles locatifs, terres, actions de société privée, etc.). La valeur accumulée à l’intérieur de certains régimes enregistrés (REER, FERR, etc.) est également visée par l’imposition post-mortem.
Les exceptions
En dépit de cette règle générale, les lois fiscales prévoient certaines situations où les biens pourront être transmis en franchise d’impôt. Ces situations sont les suivantes :
Legs au conjoint ou en faveur d’une fiducie exclusive au bénéfice du conjoint
Cette exception s’applique lorsque le conjoint est également résident canadien et que le bien en question lui est dévolu de façon irrévocable dans un délai maximal de 36 mois suivant le décès. Cela signifie que le bien lui-même, et non le produit de sa vente, doit lui être transmis sans condition et à sa pleine jouissance. De plus, le roulement fiscal s’appliquera automatiquement, à moins qu’un choix ne soit fait par le liquidateur de la succession au moment de produire les déclarations finales du défunt.
Legs de biens agricoles ou de pêche admissibles (BAPA) en faveur d’un enfant
Ce genre de bien est généralement admissible à un transfert intergénérationnel sans impôt. La définition prévue dans la loi pour se qualifier d’« enfant » se prend au sens large (incluant notamment l’enfant du conjoint ou le conjoint de l’enfant). Par ailleurs, il est possible de déterminer un prix de transfert se situant entre son coût fiscal (PBR) et sa valeur (JVM) au moment du décès.
Mesures permettant de minimiser la charge fiscale
Outre la possibilité de léguer des biens en franchise d’impôt dans les circonstances précédentes, il existe plusieurs mesures permettant de minimiser la charge fiscale lors de cette transmission successorale. En voici quelques-unes :
Exemption pour résidence principale : Par l’entremise d’une désignation adéquate, cette mesure permet de réduire en partie ou en totalité le gain imposable sur l’une ou l’autre des résidences familiales.
Exonération cumulative pour gains en capital : Cet allègement permet de réduire le gain généré par les actions d’une société exploitant une petite entreprise (SEPE) ou par des biens agricoles ou de pêche admissibles (BAPA). Le maximum viager disponible pour un particulier s’élève en 2024 à plus de 1,016 millions $.
REER/FERR – Legs en faveur d’un enfant mineur : Bien que complexe à mettre en pratique sur le plan administratif, il est possible d’étaler l’imposition des sommes provenant de ces régimes entre les mains de l’enfant en souscrivant une rente certaine payable jusqu’à l’âge de 18 ans.
Fiducie de prestations à vie (FPV) : Cette mesure permet d’étaler l’imposition des sommes enregistrées (REER ou FERR) en souscrivant une rente admissible lorsque le bénéficiaire de la fiducie est son conjoint ou un enfant à sa charge et qu’il est atteint d’une infirmité mentale.
Responsabilité des impôts
Les revenus imposables découlant de la disposition présumée des biens du défunt (gain en capital ou récupération d’amortissement) et du désenregistrement de ses régimes enregistrés (REER et FERR) doivent être ajoutés à ses dernières déclarations en plus des autres revenus de l’année gagnés avant le décès. Par conséquent, la charge des impôts générés par cette disposition incombe généralement au défunt et à sa succession. Le liquidateur a d’ailleurs la responsabilité de s’acquitter de toutes dettes fiscales impayées ou engendrées par cette disposition. Cependant, certaines sources de revenus ne sont pas à la charge de la succession, notamment :
Rente ou somme forfaitaire provenant d’un RPA ou RPDB : Ces montants sont imposables dans les mains des bénéficiaires à qui ils sont versés.
Distributions d’un CELIAPP : Lorsque les sommes accumulées sont versées aux bénéficiaires désignés, elles sont incluses dans leurs propres déclarations. Autrement, l’inclusion se fera au niveau de la succession (et non pas dans les déclarations finales du défunt).
Désignations de bénéficiaires (ou un titulaire subrogé)
Au Québec, il n’est permis de désigner un bénéficiaire (ou un titulaire subrogé) que pour les produits de rente, les produits d’assurance de personnes et les régimes de retraite. Par conséquent, pour qu’il soit possible de faire une telle désignation dans un régime d’épargne enregistré (REER, FERR, CELI ou CELIAPP) ou non enregistré, ce régime doit notamment être investi en fonds distincts. Puisque ceux-ci sont en réalité des contrats de rente offerts auprès d’une compagnie d’assurance, la désignation de bénéficiaires sera valide et permettra le versement de la valeur des fonds au décès directement entre les mains de ces derniers, et ce, sans transiger par la succession.
Inspiré par les questions que je reçois régulièrement à cet égard, je vous invite à explorer quelques situations plus en détails afin de bien comprendre l’implication de certaines désignations.
Bénéficiaires d’un REER ou un FERR
Lorsqu’un bénéficiaire est désigné sur un compte enregistré comportant un report d’impôt, tel un REER ou un FERR, il faut savoir que la dette fiscale reliée à ce régime demeure la responsabilité du défunt et de sa succession. Les feuillets fiscaux seront d’ailleurs émis au nom du défunt. Finalement, le bénéficiaire recevra la valeur marchande du compte sans la charge fiscale et sans qu’aucune retenue d’impôt ne soit appliquée. Cette notion est importante puisque les héritiers et les bénéficiaires ne sont pas nécessairement les mêmes personnes.
C’est pourquoi cet aspect doit être pris en considération lors de la planification de la transmission d’un patrimoine afin de s’assurer qu’il corresponde aux volontés de l’individu. Seul un legs à charge testamentaire peut préciser que la dette (fiscale ou autre) liée à un actif doit être assumée par le bénéficiaire ou le légataire du bien en question. La somme remise correspondra alors au montant net après l’impôt applicable du défunt.
Succession insolvable
Lorsque les actifs d’une succession sont insuffisants pour payer la facture fiscale du défunt, les autorités fiscales disposent de plusieurs mécanismes pour récupérer les impôts impayés. Ils pourront notamment se servir à même les sommes versées directement aux bénéficiaires désignés de certains régimes enregistrés. Contrairement aux bénéficiaires d’une assurance vie qui profite d’une protection accrue contre les créanciers de la succession, les bénéficiaires de ces régimes conservent une responsabilité ultime envers les impôts du défunt.
Titulaires subrogés ou rentiers successeurs
Dans le cas où la volonté est de transmettre certains régimes enregistrés en faveur du conjoint tout en bénéficiant pleinement du roulement fiscal, la désignation à titre de titulaires subrogés ou de rentiers successeurs offre également une série d'avantages importants, notamment la continuité des paiements de rente, la protection des actifs et la simplification du processus de transmission des actifs.
Conclusion
Les règles entourant la disposition présumée des biens au décès sont complexes et les enjeux peuvent être nombreux, notamment avec l’utilisation des différentes désignations. Celles-ci demeurent tout de même des outils précieux dans la planification financière et successorale d’un patrimoine en offrant sécurité et tranquillité d'esprit pour le titulaire des régimes et ses bénéficiaires désignés. Par conséquent, il devient judicieux de consulter un professionnel compétent en la matière afin d’obtenir des conseils adaptés à chaque situation spécifique.