Puisque notre système fiscal impose progressivement les revenus des particuliers sur une base individuelle, il est légitime d’envisager le transfert à un autre membre de la famille de certains biens générateurs de revenus. En effet, il serait avantageux d’imposer ces revenus entre les mains d’un membre dont les revenus sont moins élevés pour bénéficier de son taux d’imposition inférieur. Cet article propose un survol des principales stratégies de fractionnement de revenus, mais voyons d’abord comment le législateur restreint son utilisation.
Attention aux règles d'attribution!
Ne peut fractionner qui veut! Afin d’éviter l’abus du fractionnement de revenus, le législateur a prévu des règles fiscales pour limiter les transferts d’actifs entre les membres de la famille dont l’objectif est souvent de réduire l’imposition globale des revenus générés sur la somme transférée.
Règles d'attribution pour les particuliers
Ces règles visent les transferts sans contrepartie ainsi que les prêts sans intérêt ou à faible taux en faveur d’une personne liée. Les particuliers visés sont principalement les conjoints et les enfants mineurs, mais peuvent s’étendre à un enfant majeur ou à un autre proche si le principal but est de réduire l’impôt. L’application de ces règles a pour résultat d’imposer l’auteur du transfert sur les revenus générés entre les mains du bénéficiaire. Il existe toutefois quelques exceptions à ces règles où aucune attribution ne sera appliquée :
- Gain ou perte en capital dans le cas d’un enfant mineur;
- Revenus de 2e génération, soit les revenus générés sur les revenus réinvestis;
- Revenus d’entreprise, autre qu’un revenu de biens.
Par ailleurs, si les sommes transférées ne génèrent aucun revenu imposable pour le bénéficiaire, la réattribution sera nulle et sans effet. Prenons par exemple les situations suivantes :
- Cotisation à un régime enregistré tel le REÉR, le CÉLI, le REÉÉ et bientôt le CÉLIAPP;
- Acquisition d’une résidence à des fins personnelles (attention cependant au gain en capital à la revente).
Règles d'attribution corporatives
De façon très sommaire, il existe également pour les actionnaires de société privée une règle d’attribution visant les transferts directs ou indirects d’un bien à leur société dont le but est de réduire leurs revenus et à avantager une autre personne. On retrouve souvent cette situation lors d’un gel successoral des actions d’une société ne se qualifiant pas aux fins de l’exonération du gain en capital (une société de placements par exemple). Cette mesure oblige l’actionnaire à s’imposer minimalement sur un intérêt réputé (taux prescrit) calculé sur la valeur de rachat des actions privilégiées émises dans le cadre du gel.
Quelles sont les stratégies disponibles pour fractionner les revenus d'un couple à la retraite ?
En parallèle à ces règles d’attribution, le législateur a introduit au fil des années plusieurs outils permettant le fractionnement de revenus. Dans les prochaines lignes, nous verrons les principales stratégies qui, à l’aide d’une bonne planification et d’une utilisation adéquate, pourront favoriser une meilleure répartition des revenus pendant la retraite.
REÉR au conjoint
La cotisation au REÉR de conjoint est la stratégie la plus couramment utilisée et vise à équilibrer le niveau d’épargne-retraite du couple. Elle permet à l’un des conjoints (généralement celui dont les revenus sont plus élevés) de cotiser au REÉR de l’autre conjoint. Le conjoint cotisant doit disposer de droits de cotisation (son propre espace REÉR) et c’est lui qui pourra déduire les cotisations. Quant au conjoint bénéficiaire, il sera le rentier du régime et s’imposera lui-même sur les retraits éventuels. Cependant, une règle spéciale visant les retraits hâtifs imposera les montants entre les mains du conjoint cotisant. Afin d’éviter cette réattribution, il faut s’assurer qu’il se soit écouler au moins deux années civiles complètes après la dernière cotisation à un tel REÉR (communément appelée la règle des trois 31 décembre).
Par ailleurs, il est important de noter que les sommes versées au REÉR de conjoint n’appartiennent plus légalement au cotisant, ce qui pourrait représenter un enjeu financier dans l’éventualité d’une séparation d’un couple en union de fait. Quant aux conjoints mariés ou unis civilement, l’enjeu est souvent minimisé par les dispositions du patrimoine familial.
Prêt au taux prescrit
Il existe une façon légale d’éviter l’application des règles d’attribution en octroyant un prêt en faveur du conjoint (ou un autre membre de la famille) pour que ce dernier investisse lui-même les sommes. Une convention de prêt devrait être clairement établie entre les parties et les intérêts fixés selon le taux prescrit au moment du prêt doivent être payés au plus tard 30 jours après la fin de l’année civile.
L’avantage de cette stratégie est toutefois réduit pour les nouveaux prêts depuis la montée récente et rapide du taux prescrit. En effet, ce taux était de 1% depuis plusieurs années (sauf un trimestre à 2% en 2020) et il a augmenté rapidement depuis juillet 2022 pour s’établir actuellement à 4% au premier trimestre de 2023. Il faut dorénavant s’assurer que le rendement des placements soit supérieur à ce taux pour que la stratégie soit avantageuse.
Division de la rente de Retraite Québec
Du côté de la rente de retraite du Québec, il est possible de demander un certain partage des montants versés entre les conjoints (légaux ou de fait). Chacun des conjoints doit être âgé d’au moins 60 ans et seuls les droits accumulés durant l’union pourront être partagés. Il s’agit donc d’un transfert véritable de revenus d’un conjoint à l’autre. Cette division n’est pas irréversible et se terminera lorsque certains événements surviendront, notamment une séparation ou un divorce.
Pour davantage d’informations, vous pouvez consulter le site de Retraite Québec.
Fractionnement des revenur de pension
Contrairement aux autres stratégies, le fractionnement des revenus de pension n’implique aucun transfert d’argent entre les conjoints. Il s’agit simplement d’une attribution fiscale qui s’opère à même leurs déclarations de revenus respectives. Le choix doit être effectué annuellement et autorisé par chacune des parties. Cette règle fiscale permet à un conjoint de transférer jusqu’à 50% de ses revenus de pension admissibles, dont les principaux sont les suivants :
Pour un contribuable âgé de 65 ans et plus
- Rente provenant d’un RPA;
- Revenus d’un FERR ou d’un FRV;
- Rentes provenant d’un REÉR ou d’un CRI (pas les retraits);
- Portion imposable d’une rente non enregistrée;
- Revenus d’intérêt d’un compte à intérêt garanti (CIG) souscrit auprès d’un assureur.
Pour un contribuable âgé de moins de 65 ans (fédéral seulement)
- Rente provenant d’un RPA;
Il faut noter que ce transfert fiscal de revenus entre les déclarations, bien que la charge d’impôt globale soit potentiellement réduite, occasionne généralement une augmentation des impôts pour le conjoint qui se voit attribuer ces revenus (et les retenues proportionnelles afférentes). Les couples pourront par la suite compenser ce déséquilibre fiscal en se partageant les économies ainsi générées.
Versement de dividendes par une société privée
Malgré l’introduction de règles plus restrictives depuis l’année 2018 limitant le fractionnement des revenus entre les membres d’une même famille, notamment les dividendes provenant d’une société privée, il existe une exclusion pour un entrepreneur qui lui permettrait de verser des dividendes à son conjoint sans l’application de l’impôt sur le revenu fractionné (IRF). Pour ce faire, l’entrepreneur doit être âgé d’au moins 65 ans avant la fin de l’année et avoir participé activement, de façon régulière, continue et importante, aux activités de l’entreprise de sa société durant au moins cinq années d’imposition antérieures.
Pour les entrepreneurs qui accumulent des liquidités corporatives pour leur retraite, cette exclusion leur sera extrêmement utile afin de fractionner les dividendes de la société avec leur conjoint. Ce dernier devra être actionnaire de la société ou bénéficiaire d’une fiducie possédant des actions afin de recevoir ces dividendes et les inclure dans leurs propres revenus.
En conclusion, le fractionnement de revenus demeure une avenue incontournable pour la réduction de la facture fiscale annuelle d’un couple mais se bute à plusieurs mesures restrictives. Il faut donc bien connaître les règles du jeu afin de profiter judicieusement des différentes stratégies disponibles.